Rien ne destinait Paul Pagès, fils d'un modeste facteur rural de Bassan, à embrasser une carrière médicale. Sa vocation est due à une attaque de croup, à l'âge de 8 ans, et à 2 hommes : le médecin du village qui pratique à temps l'injection de sérum antidiphtérique et l'instituteur, remarquable pédagogue, qui fait écrire l'enfant au docteur Roux, inventeur du sérum, à l'institut Pasteur, pour lui exprimer sa reconnaissance. La suite est le fruit d'une volonté acharnée : préparation et réussite au concours des bourses, études secondaires comme interne au collège Henri IV de Béziers, année préparatoire de Médecine à la Faculté des Sciences de Montpellier en 1913-14 dans des conditions matérielles précaires et 4 ans au front, initialement comme brancardier puis comme fusil-mitrailleur. Paul Pagès termine la guerre au cours des élèves médecins auxiliaires à l'hôtel-Dieu de Lyon, légèrement blessé et décoré de la croix de guerre.
Reçu major au concours de Santé Militaire de 1919, il est détaché à Montpellier dans sa faculté d’origine pour y effectuer son cursus médical, admis à l’externat l’année suivante et fait immédiatement fonction d’interne. La rencontre avec le doyen Euzière, son conférencier d'internat, décide de sa destinée neuro-psychiatrique et universitaire et lui fait abandonner la carrière de médecin militaire. Interne en 1921, premier chef de clinique du professeur Euzière et médecin de l'asile Font d'Aurelle en 1924, il est reçu à l'agrégation de médecine en 1928 et chargé de l'enseignement de la Pathologie Expérimentale. Il retourne alors sur les bancs de la faculté de Sciences pour compléter sa culture biologique et scientifique. Hébergé dans le laboratoire du professeur Bosc, il consacre ses travaux expérimentaux aux relations entre tuberculose et cancer et lui succède en 1937 à la chaire de Pathologie Générale.
L'accès à cette chaire modifie à nouveau son orientation. Sa leçon inaugurale du 18 mai 1938, selon un cérémonial remis en honneur depuis peu par la faculté, définit le programme de son enseignement : remontant la filière de ses prédécesseurs montpelliérains, Paul Pagès devient progressivement philosophe et historien de la médecine montpelliéraine et remet en honneur le vitalisme de Barthez, prolongement de la doctrine hippocratique, et de ses suiveurs, Lordat, Béchamp et Grasset.
La deuxième guerre mondiale le contraint d'interrompre ses travaux expérimentaux. Sollicité par le doyen Euzière, il reprend une activité clinique hospitalière en 1945 et assure la responsabilité du secteur Hommes dans le service des Maladies Mentales et Nerveuses installé 3 ans plus tôt au rez-de-chaussée de l'hôpital Saint Charles, charge qu'il assumera de manière bénévole pendant presque 20 ans. S'estimant suffisamment pourvu, il renonce à succéder à son maître dans la chaire des Maladies mentales et nerveuses au profit du professeur Lafon. Dans les 2 pièces vétustes de son laboratoire, au rez-de-chaussée de la grande cour de la Faculté, il aborde une nouvelle phase de son activité. La découverte après-guerre des travaux du pathologiste allemand Feyrter sur le système endocrinien diffus lui inspire, à la lumière de la pathologie générale, toute une série de travaux qui en étend la notion au système nerveux, y individualise 2 types cellulaires, démontre le rôle de l'hormone somatotrope dans son développement et suggère une origine embryologique dans la crête neurale. Ils font l'objet de la thèse inaugurale de son fils André Pagès, futur professeur d'Anatomie Pathologique.
Philosophe et neuro-psychiatre, homme de laboratoire et clinicien, Paul Pagès fait preuve d'une largeur de vue qui lui permet d'aborder des disciplines en marge de l’orthodoxie et de précéder l’opinion. Il pratique l'homéopathie, découverte pendant ses années d'agrégation et apprise en autodidacte. Sa parfaite maîtrise de la langue allemande et son statut d'ancien combattant font de lui le meneur de la délégation professorale chargée de représenter la Faculté de Médecine aux cérémonies de jumelage universitaire entre Montpellier et Heidelberg en 1957, à une époque où la réconciliation franco-allemande était loin d'être acquise.
La fin de sa carrière professionnelle est assombrie par les conséquences de la réforme Debré sur sa discipline et ses conceptions de la médecine. S'il quitte le vieux laboratoire de la Faculté, fréquenté de 1928 à 1963, pour les locaux neufs de l'Institut de Biologie, il redoute la disparition de son enseignement et se voit refuser une intégration dans la nouvelle organisation du CHU, que ce soit au titre de son activité de laboratoire ou dans le service de Neurologie. Pendant les 10 ans de sa retraite, il poursuit son activité intellectuelle, restant un lecteur assidu de la bibliothèque universitaire et rédigeant de nombreux documents. Membre de l'Académie des Sciences et Lettres depuis 1941, vice-président en 1970 et président en 1971, il y fait des communications consacrées à divers aspects de l'hippocratisme montpelliérain. Les 2 dernières, en 1972 et 1973 sont un hommage à son maître Euzière, disparu depuis peu et envers lequel il a toujours conservé des sentiments de respect filial. Ceci ne l'empêche pas de consacrer son temps à ses petits-enfants.
Il disparaît brutalement le 8 octobre 1975. Un de ses élèves, le Pr Cazal, lui a consacré un bref article dans le Montpellier Médical, dont la cessation de parution était imminente, et l'on peut considérer comme symbolique que le dernier défenseur de la doctrine hippocratique montpelliéraine ait également été le dernier maître honoré dans le journal de sa faculté.
Professeur Michel Pagès